les Notes de PAssAjE

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10.29.2006

L'éducation par les fêtes

Chronique de Claude Henri Joubert
revue FNAPEC
Le 12 novembre 1869 paraissait « Nos fils », l'un des derniers ouvrages de l'historien Jules Michelet (1798-1874).
Le vieil homme considérait cet essai, écrit pour combattre les thèses « bourgeoises » de Félix Dupanloup (évêque d'Orléans, académicien, sénateur, grand et fin pédagogue chrétien), comme « le plus fort de ses livres ». On laissera ici les remarques de Michelet relatives aux méthodes éducatives de Rabelais, Montaigne, Rousseau, Pestalozzi, Froebel et bien d'autres, pour ne retenir qu'une phrase étrange et dynamique, : « l'éducation de l'homme se fera par les fêtes ».
A-t-on jamais lu, sous la plume d'un savant homme, plus déconcertante proposition, elle doit agacer bien des lecteurs sérieux, mais elle attire au contraire le musicien, familier des concerts, des noces et des festivals.
« Une éducation par les fêtes » n'est –elle pas propice aux activités musicales ?
Justement, pour Michelet, la fête, c'est l'harmonie : « Croire le monde harmonique, se sentir harmonique à lui, voilà, la paix. C'est la fête intérieure (...) Le cœur dilaté devient grand. »
Le cœur du musicien enthousiaste se serre : qu'en est-il en effet de ces fêtes ? Autour de son école, la fête du 21 juin a pris des allures de fête de la bière. Beaucoup d'élèves ne peuvent se produire ce soir là, dans une rue dédiée exclusivement aux sons électriques ; ils doivent s'enfermer au plus profond de l'école ou fuir dans les salons d'une préfecture ou le cloître d'une maison de retraite.
Les concerts, les spectacles pédagogiques réputés festifs le sont-ils toujours ? Le musicien se souvient d'avoir assisté à bien des représentations d'opéras pour les enfants où les enfants étaient utilisés pour flatter la vanité du chef, du directeur, du maire ou des parents... Un professeur de mauvais esprit rencontré un jour prétendait que l'objectif d'un « projet » imaginé par un directeur était toujours atteint puisque cet objectif n'était ni plus ni moins, que d'emm... les professeurs ! ». Cette déclaration hyperbolique était bien excessive, mais il est vrai que certains projets affichés (et consacrés) comme pédagogiques se révèlent, quand on les examine, n'être que lubies ou caprices.
Pas si simple, la fête !
« Comment fait-on des fêtes ? ».
A cette question, Michelet répond : "Mais on ne les fait pas. Cela naît de soi-même. Un matin, on s'éveille... Tout a jailli du cœur. C'est fait. Hier, qui s'en serait douté ? » belle pensée!
Mais que peut bien faire le musicien, directeur ou professeur tenté par « l'éducation par les fêtes » : attendre que « ça » jaillisse ? Faut-il qu'imitant Moise frappant le rocher à Horeb (Exode XVII, 6) il frappe ses élèves pour en faire jaillir la fête ?
La réponse est moins brutale et plus simple, Michelet nous l'a donné tout à l'heure: « Il faut croire le monde harmonique, se sentir harmonique à lui. » Etre harmonique , c'est concourir à l'harmonie , tenter de mettre en harmonie toutes les parties d'un ensemble, d'un groupe, d'une classe, d'une leçon, d'un projet , d'une discussion ; alors la fête pourra jaillir comme l'instant jaillit dans la durée.
Où? Quand? Comment? La fête peut naître lors d'un concert, d'une audition, d'une conférence, d'une réunion, d'un voyage, d'un examen, d'une mise en loge, d'un cours... Le seul travail qu'on puisse recommander au pédagogue est de préparer le terrain afin de rendre la fête possible, ou, au moins, de ne pas la rendre impossible... Chaque professeur doit être un professeur « d'harmonie », c'est le secret !